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    CARNET DE ROUTE
N° 9/58
 
     
     
" SIBERIE-INDE : dans la peau des Evades du Goulag "
     
   















 
 
 
18 au 25 juin 2006 / MAGADAN-IAGADNOE-SUSUMAN, RUSSIE.
 
 
Sont ils en train d'oublier

 

A bord d'un UAZ(1), nous sommes partis pour une boucle de 1400km sur
ce qu'il reste des Goulags de la Kolyma, histoire de confronter notre
connaissance a la realite du terrain et definir le camps qui marquera
notre point de depart. Mais au vue de la debacle historique qui nous
attends, va t on y parvenir?

Dans le UAZ qui nous conduit dans les montagnes de la Kolyma, la bonne
humeur est generale, a l'idee de voir nos premiers camps et de
toucher a la realite de l'horreur tant cotoyee dans ces derniers
mois. Les kilometres s'egrainnent vites et la route de terre,
meilleure que celle en goudron, n'est pas sans nous rememorer les
propos de Kostya notre fixer(2):"il n'y a pas une route, un
pont, une digue dont les pierres n'ont ete pose par les Zeks(3)
ici". Chacune de ces tranchees, souches d'arbres, ou meme ces
remblais, portent a nos yeux la marque de l'oppression. Il y a comme
une indissible necessite de scruter hors du vehicule pour saisir cette
violence humaine, gravee dans la nature.
On la cherche, mais a de rares occasions il nous est possible de la lire :
un vieux pont ebranle ici, des poteaux telegraphiques en meleze par la,
viennent a peine a la rescousse de notre imaginaire. Passe un monument qui
nous fait plaisir, mais pas tres parlant, Kostya nous arrete sur les
ruines d'un premier camps. Il n'en reste qu'une maison
de briques et des bouts de bois amonceles avec des morceaux de ferrailles.
Certes les surfaces semblent grandes mais rien qui pourrait les
differencier d'un hameau detruit a cause du temps dans le parc de la
Vanoise.
Seul notre imaginaire nous fait vibrer, a l'image du camps de Varlam
Chalamov, un des prisonnier/auteur majeur du Goulag. Nous sommes sur les
ruines de ce qui fut tant d'annees son calvaire. La, debout au
milieu de ces restes de bois, de briques eclatees, manges par les haillons
d'herbe et de mousse mais surtout infeste de moustiques, on est emu
mais on ne voit rien : pas de mur droit, pas de barreaux aux fenetres, de
poteaux flanques de barbeles, pas de mirador.
Mais une nature qui reprend sa place parmi les traces de bulldozer. Oui
Chalamov y etait mais y a rien a voir. Allons au suivant.
Sans mot dire, on leve le camps, sans realiser cette terrible realite. Il
nous faudra atteindre le bout de notre periple initiatique et
n'avoir rien vu a la hauteur de nos attentes pour accepter la
realite : la ou l'homme a facilement acces, l'histoire
disparait. Mais pourquoi ? N'y a-t-il pas de conscience historique ?
Sont ils en train d'oublier ce terrible passe ?

Apres toute cette route, et de longues discussions, nous parvenons a
certaines considerations : 1- le manque d'argent est une explication
possible a cette agonie. Ce pays et sa population sont de plein pied dans
le « 2/3 monde ». Le delabrement et la pauvrete sont partout comme en
temoigne le manque de moyens pour entretenir les routes et les hopitaux,
alors dans ces conditions comment pourraient ils entretenir leur
patrimoine historique ? Leurs priorites sont ailleurs. 2- Une
deresponsabilisation totale, symbole de ce pays, qui engendre une penurie
de prise de decisions. 3- Le sommet de l'Etat refuse de prendre parti
pour son histoire : il ne l'accepte comme il ne la refuse. 4-
L'abandon du socialisme vers un « capitalisme russe » engendre une
recherche du gain rapide. Ainsi, si les prisonniers abandonnaient leur or
dans les toilettes des camps lors de fouilles, de nos jours les chercheurs
d'or peu scrupuleux mettent a sac les camps pour retrouver
rapidement ces butins, probablement sans conscience du mal qu'ils
font a leur Histoire.

Alors que faire ? Oublier ? Ou se battre pour perreniser la memoire ? Et
pourquoi ne pas preserver les quelques camps abandonnes et encore en etat,
loin des routes (2 a 3 jours de marche), loin de l'homme, avant
qu'il ne soit trop tard ? Selon Igor, geologue et gardien de musee a
Susuman, « c'est une option envisagee mais loin de la volonte
politique ». Un peu comme ces « villes abandonnees aux quatre vents et
contrairement aux camps, encore intactes » nous dit le prefet de Susuman.
Et finalement le point final est donne par Tatiana, traductrice, « la
violence de nos regimes a rendu le peuple fataliste et soumis, dans son
ensemble, mais rebel dans son individualite. Sauf qu'il a peur de
l'exprimer, par peur du lendemain ».
C'est le serpent qui se mord la queue.

A bientot
Guillaume et Cyril

(1) UAZ : petite camionnette russe.
(2) fixer : regisseur, personne servant de guide, logisticien, interprete,
etc...
(3) zek : de Zeka signifiant en russe prisonnier du goulag.


 

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