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    CARNET DE ROUTE
N° 57/58
 
     
     
" Sibérie – Inde : sur les traces des Goulags "
     
   
 
 
 
01 juillet 2007 / Vientiane, LOAS.
 
 
[ 1 / 2 ] "Deux mois, 0 kilomètre, 200 pages"

 


Deux mois déjà que l’expédition est terminée.
Que le temps passe vite. L’atterrissage n’est pas aussi terrible car je suis bien entouré et dans un environnement protecteur. Le retour c’est aussi le temps des bilans et des remerciements et il est dur de n’oublier personne. Mais le temps presse pour
que je consigne toutes ces mémoires avant que le tourbillon du monde ne m’emmène, négligeant ce qui m’a changé et ce qui m’a fait vivre tout ce temps.

La famille est là. Je prends conscience de la douleur que ma compagne a endurée dans cette interminable absence. Car on ne peut pas parler autrement. Etre occupé c’est ne pas voir le temps qui passe; être dans l’expectative c’est attendre que le temps pa
sse. Et il n’y a rien de plus pénible que de ne pas savoir ce qu’il se passe, de devoir attendre des nouvelles et de ne rien recevoir… de ne pas être maitre du temps mais son tributaire. D’égrainer les jours, les minutes, dans l attente d’un appel, d’un
e bonne nouvelle car la crainte du pire est permanente et surement pas rassurée par les 4 minutes de discussion tous les 15 jours… Et je ne suis pas condamné, je suis un Homme libre qui a entrepris une folie. Alors combien devait peser la peur et l’impat
ience sur les épaules de celles et ceux qui restaient, alors que leur second étaient châtiés par la société. « chaque fois que je perds un cher, je meurs un peu plus moi-même , et il me semble que la seule chose vivante qu’il me soit restée c’est la capa
cité de souffrir encore et encore… », disait Marina Tsvetaeva. De cette prise de conscience se dégage alors un amour sans borne qui peut se transformer aussitôt en haine infinie, si la raison ne garde pas le dessus…

Nous sommes des monstres d’adaptabilité. « Si tout le monde courre, tu finiras par courir aussi… » disait un Chamane. Et doucement à nouveau je re-glisse moi aussi dans cet état de stress. Je pensais pourvoir tenir plus longtemps mais finalement le tic-t
ac de chez nous, me reprend bien plus vite que je n’aurais voulu. Comment lutter quand tout marche comme ca? Le boucher ferme à heure précise. Les factures de téléphones sonnent comme des mois écoulés. Et le bonheur des restaurants entre amis s’estompent
avec le poids des notes.

Mais surtout le temps, le temps ici est compté comme une valeur rare. Là bas il ne l est pas… on vit comme on veut dans un monde qui ne peut être que meilleur demain. Les peuples ont beau gémir sur la disparition des grands leaders et leur monde déchu, m
ais ils s’accrochent surtout à l’espoir de la belle vie que sera celle de leurs enfants. Ces aiguilles en occident, qui courent, stériles au temps dans le cadrant des montres, semblent ne jamais vouloir s’arrêter prendre le the, regarder la pluie tomber,
écouter le bruit de la mine sur la feuille de papier ou glisser à pas de tortues comme là bas.
Le temps est de l’argent, il est de couleur or. On parle de son âge pour mourir mais pas de la fatigue d’être vieux.
On voudrait croire que le 1/3 monde se globalise, mais rien n’y fait, tant que le temps ne se sera pas mis en route ici, ils ne rattraperont pas notre monde de brut. Ils continueront de regarder le temps à travers le potager ; d’abord labourer pour les p
atates, puis bourgeonner les merisiers, viendront les oignons, les radis et l’oseille avant les fraises et les marrons. Car la richesse de l’homme libre c’est d’avoir le temps pour allié. C’est savoir être son partenaire, être sûr de ne jamais en manquer
, avant de finir par définitivement l’oublier.

Le feu. C’est aussi ça la douleur du retour. Non pas que le retour soit brûlant, quoique un peu pénible par moment, mais qu’il faut reprendre bien des habitudes comme celle de souffrir des autres.
La confrontation est assez rapide. D’abord le silence ambiant ne peut être perturbé. Parler trop fort est presque un crime dans une librairie par exemple. Il semblerait d’ailleurs que ce qui pose problème c’est le sentiment de ‘gêne’. Occuper l’espace de
l’autre est une limite aussi. Se plaindre est une provocation naturelle en revanche… La confrontation est partout chez nous. Ça gueule dans la rue, les baguettes volent avec des insultes à la sortie d’une boulangerie, un livreur s’en prend à un camion d
e pompiers qui bloque une rue pendant le sauvetage d’une vie… ça n’a même plus de sens. Ailleurs, tout le monde klaxonne, dépasse vite, regarde ses pieds et cherche des excuses pour marquer son territoire. Il y a une peur perceptible d’être agressé et un
e crainte de l’autre effroyable. On se demande vraiment ce qui a fait ça.

En Asie, de nous ils disent que nous sommes des tempéraments de feu, explosif comme un volcan, cherchant l’affrontement. Ils nous regardent depuis leur bateau sur la rivière de leur vie calme, d’un caractère battant mais évitant la confrontation, un temp
érament d eau, conciliateur.

Lors d’interviews, on m’a demandé si j’avais « peur de l’avenir après une telle expérience ? ». Non, et bien le contraire, que peut il arriver après tout ? Mais des envies de ne rien perdre, ca revanche oui. Ne plus reporter au lendemain ce qui peut être
fait le jour même… « Ce n est pas arrivé ici qu’il faut s’arrêter, même si cela demande un effort supplémentaire : il faut aller au bout, car une telle occasion ne se représentera pas », disait Robert Barret.

Détachement de la réalité. Un peu comme si l’effort fourni avait repoussé les limites… de mes attentes et des contraintes. Je n’ai pas envie d'être embêté par des problèmes qui n’en sont pas. Et je balaie d’un geste, les faux ennuis qui se présentent… Co
mme si ma réalité n’était plus celle des autres et qu’une distance réelle s’était installée entre le monde et moi. Confirmé par cette sensation que plus on prend de l’âge plus on a le regard qui devient précis, plus perçant sur les choses. Non pas qualit
ativement ou quantitativement mais qu’au fond de moi je discerne plus de choses qu’avant, d’une manière plus profonde, semble-t-il. Aurais-je muri ?

Une chose est sûre en revanche, je refuse la violence plus que jamais. Qu’elle soit psychologique ou physique elle me gène terriblement et je la veux loin de moi. Que s’est il passé depuis avril 2006 pour que cela me pénètre ainsi ? Peut être l’éloigneme
nt des choses tant aimé mais aussi la dureté de la confrontation permanente que j’ai vécu ne me permettent plus de tolérer cette confrontation. Peut être aussi que j’ai le sentiment qu’il peut y avoir des solutions douces pour tout… Et que mon éloignemen
t me replonge dans les douceurs de la vie là bas. Je ne veux plus de violence mais me battrait pour… étrange ambivalence.

Et justement, il faut que violence intellectuelle se fasse, pour ressortir tous ces moments, ces instants que j’ai vécu comme une éternité. Pour coucher tout cela sur le papier, organiser le film et que finalement le témoignage prenne corps, que la Mémoi
re soit pérennisée. Le Laos hébergera ma plume et dans la douceur des tropiques j’éviterais un peu les limites mises par l’homme, jouerais des complexités des sentiments, prendrais conscience de la difficulté de ce que nous avons réalisé, accepterais enf
in peut être que je viens de finir Le Voyage d’une vie.

 

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